Une promotion "Arts du mime et du geste" à l'ESAD

http://replique.cnt.asso.fr/billet.cfm/7660/une_promotion__

Jean-Claude Cotillard, directeur de l’ESAD (Ecole Supérieure d’Art Dramatique de Paris), ouvre en septembre prochain une promotion « Art du mime et du geste » au sein de son établissement d’enseignement supérieur. Le CnT a coordonné durant 2 ans et suit toujours de très près les travaux du GLAM (Groupe de Liaison des Arts du Mime et du Geste), qui réfléchit à des mesures précises et concrètes pour favoriser la création contemporaine, sa diffusion, la formation et la mise en réseau dans ce domaine aujourd’hui. La création d’une école était l’une des mesures-phare à l’étude au sein du groupe. Cette 1ère promotion est donc tout un symbole auquel nous nous devions de rendre honneur. Pour en savoir plus, je me suis dirigée vers les Halles, où est installé l’ESAD, pour poser quelques questions à Jean-Claude Cotillard.


Dorothée Burillon : - L’ouverture de cette promotion « Arts du mime et du geste » est un grand pas en avant dans la visibilité des Arts du Mime et du geste. Quel en a été l’élément déclencheur ?

Jean-Claude Cotillard : - On sait que c’est au sein d’une école qu’un art peut se renouveler, se régénérer. Une école peut donner une énergie nouvelle, particulière, à la créativité. Ainsi, il y a deux ans, dans la mouvance du GLAM (Groupe de liaison des Arts du mime et du geste - Nda), nous avons étudié la question. C’était utopique de créer une école de toute pièce dans un premier temps. J’ai donc fait la proposition d’avoir une promotion « Arts du mime et du geste » au sein de l’ESAD et cela s’est fait assez facilement : avec la Mairie de Paris tout d’abord, puis avec le Ministère de la Culture et de la Communication. Je pensais trouver des réticences, mais cela n’a pas été le cas, ni au niveau du Pôle supérieur, (le regroupement qui gère les deux sections de musique et la section d’art dramatique). Ils m’ont dit « mais c’est formidable, quelle bonne idée !». Au Ministère, s’est posé le problème du référentiel « Diplôme » (Les écoles supérieures délivrent en effet le DNSPC : Diplôme National Supérieur des Comédiens Professionnels). Il a été décidé de ne pas en créer un nouveau, mais il s’appellera DNSPC parcours « Arts du mime et du geste ».

En fait, je ne crée pas une section supplémentaire à l’ESAD. En effet, l’année prochaine, cette section « Arts du Mime et du geste » viendra à la place d’une promotion « comédien ». Ce qui fait que l’année prochaine, j’aurais une première année « Arts du mime et du geste », et des deuxième et troisième années « comédien ». Puis, la saison suivante, je fais entrer une nouvelle promotion de « comédien », et il y aura donc à l’ESAD une première année « comédien », une deuxième année « Arts du mime et du geste », une troisième année « comédien ». Et ainsi de suite. Cette première section « Arts du mime et du geste » est donc là pour trois ans et quand elle aura fini, nous recruterons une nouvelle équipe de quinze jeunes étudiants en « Arts du mime et du geste ».

Avec cette organisation, les coûts dus à la création de cette formation sont moindres : pas de nouveaux locaux, même nombre d’étudiants à l’ESAD. Elle n’implique qu’un peu d’achat de matériel spécifique.

C’est la première fois qu’une école de service public propose ce type de formation. Les quelques formations dans ce domaine sont privées. A l’ESAD, il s’agit d’enseignement supérieur : les élèves ont le statut d’étudiants, nous avons un partenariat avec l’Université et le corps enseignant de l’Université dispense des cours ici. Les étudiants suivent une formation diplômante, et peuvent à l’issue de leurs études, avoir le DNSPC, plus une licence d’Etudes théâtrales.

Cela faisait longtemps que j’avais l’idée d’une école spécifique « Arts du Mime et du Geste », car c’est la base de l’enseignement que j’ai reçu moi-même (j’ai suivi les cours de Maximilien Decroux). Puis j’ai rejoint le GLAM, où les mimes et les gens de cette catégorie-là tentent de se réunir, et de se refonder. Les choses se sont accélérées, il y a eu la journée du GLAM de 2008 au Vieux Colombier, celles de 2010 à Avignon, de nombreuses créations issues de cette catégorie ont vue le jour, une réflexion était (et est toujours) en cours de la part des artistes, et tout cela a convergé, créé du mouvement. J’ai initié un groupe de travail au sein du GLAM et nous avons fait des propositions d’enseignement. Nous n’avons pas imaginé une école de mime, mais une école où l’art du geste est au centre et où on privilégiera la créativité qui en sort. Nous sommes cousins de la danse, nous sommes cousins de la marionnette, avec une spécificité de travail qui est à inventer.

Dorothée Burillon : - Combien de dossiers de candidature avez-vous reçu ?

Jean-Claude Cotillard : - Nous sommes à 170 dossiers, ce qui est très bien. Habituellement, pour les concours « comédien », nous sommes à 450 dossiers.

Dorothée Burillon : - Quels sont les enseignements de cette promotion ?

Jean-Claude Cotillard : - Nous sommes en train de travailler sur le « squelette » de la saison prochaine. Les étudiants vont avoir trente heures de cours par semaine, ce qui est énorme. Il y aura des cours permanents, tous les matins : un cours spécifique, un cours de technique de mime (référence à la technique d’Etienne Decroux, la « grammaire du corps ») ; un cours de préparation corporelle : plus proche de l’acrobatie, où le corps est dans un mouvement éclaté, maitrisé, a contrario du cours de mime où il est dans une précision totale ; un cours de danse : danse spécifique pour les acteurs et les jeunes étudiants « Arts du mime et du geste » ; un cours de technique de respiration : le travail sur l’énergie respiratoire ; un cours d’improvisation : je veux pratiquer ce qui se faisait chez Lecoq, les « auto-cours », avec une démarche de créativité, de travail personnel. Ensuite, il y aura un cours de chant : le travail vocal complète celui sur l’énergie du corps. La phonation fait partie de ce travail corporel, et il ne s’agit surtout pas de faire une école sans parole. La formation est orientée vers une créativité différente, une « écriture de plateau », où il n’est pas interdit qu’il y ait la parole.

Il y aura aussi un cours de comédie. Il s’agira également d’un cours permanent, regroupé en une semaine tous les mois, par exemple. J’entends « comédie » au sens classique du travail du texte. La différence avec une école de théâtre, c’est que pour créer, on ne part pas d’un texte préexistant, d’une œuvre grammatique. On part du regard des étudiants sur la vie et de ce que l’on peut raconter de l’être humain à travers ces différentes techniques. Voilà le projet de l’école.

L’après-midi, nous allons travailler sous forme de sessions : nous allons probablement commencer avec le « masque neutre ». Il s’agit d’un travail très particulier puisque c’est à la fois un objet qui dissimule le visage, et qui n’est pas si neutre que ça. C’est le jeu qui va déterminer et qui va casser la neutralité du masque. Il est aussi lié au travail du chœur, c’est-à-dire du collectif. Une autre session s’appellera « autour de l’idée du portrait corporel de l’acteur », une autre « manifestation corporelle de la pensée et des émotions », une session : « rapport du corps à l’objet, aux matériaux, à la marionnette » et peut-être une session « les grands standards du burlesque » , car on utilise beaucoup ce terme et il est très important que cet aspect de l’humour et du comique soit présent dans ce travail. En deuxième année, il y aura un travail sur le clown, qui est une des familles proches de nos arts, un travail sur le masque expressif, (le demi masque de caractère). Peu à peu, nous demanderons à l’étudiant d’être davantage créatif, d’avoir de plus en plus sa propre approche, sa propre forme, sa propre personnalité. Des petits groupes se constitueront. Nous proposerons également un travail sur la vidéo et les techniques scéniques actuelles.

Le volume d’une session va osciller entre 30 heures (une master-class amplifiée, des temps de rencontre), 60 heures (avec une approche possible d’un matériau, d’une forme de travail, d’un style) et une centaine d’heures (travail avec un metteur en scène en vue d’une présentation).

La troisième année aboutit à la création d’un spectacle de sortie. Il est très important que les jeunes étudiants aient un point final à leur parcours. Et on a aussi un système d’insertion professionnelle qui s’apparente à celui du JTN, une aide aux compagnies qui engagent les jeunes artistes. Ainsi, on les aide à mettre « le pied à l’étrier ». Les compagnies sont incitées à venir voir les présentations et les auditions.

Dorothée Burillon : - Quelle est l’articulation entre les formes historiques et les formes contemporaines au sein de la formation ?

Jean-Claude Cotillard : - La pédagogie va bien sûr s’inspirer des pères fondateurs que furent Etienne Decroux (avec sa grammaire), Jacques Lecoq, (avec sa construction pédagogique), Henry Tomaszewski et Marcel Marceau, mais leur enseignement sera digéré, actualisé, repensé… Le cours d’improvisation que je donne est inspiré des techniques d’Etienne Decroux repensées par son fils Maximilien, que j’ai moi-même « re-digérées », ce n’est donc pas du tout dogmatique. Je fuis les églises, les dogmes ; il ne faut pas répéter les préceptes, cela peut étouffer la créativité. Le rapport à l’historique pourra exister sous forme de session. Par exemple, une session sur l’art de Marcel Marceau : en se posant les questions suivantes : De quoi s’agissait-il ? Comment cela fonctionnait-il ? D’où cela venait-il ? Pourquoi cela marchait-il si fort à ce moment là ? Quels étaient les ressorts techniques ? Nous ferons de l’histoire aussi avec nos cours universitaires. Par exemple, nous questionnerons Meyerhold : qu’est-ce que la biomécanique ? Une expression corporelle, oui, mais pourquoi ? Comment ? Dans quelles circonstances ? Ou encore un regard sur la statuaire grecque, ou sur les formes populaires de pantomimes nées suite au décret napoléonien de 1807 réglementant l’activité et l’exploitation des théâtres qui a bâillonné plus d’une troupe. Il faudra aussi réfléchir à nos rapports à la marionnette, ou avec les circassiens, et plus tard, avec le Smurf, le hip-hop, la break danse… Nous pourrons également demander aux étudiants un rendu sur une forme de travail historique du mime, comme un devoir.

L’art du mime et du geste n’est pas une pratique restitutive. Ces propositions historiques nourriront la créativité des étudiants.

Dorothée Burillon : - Quelle sorte d’acteur allez-vous formez ? Pourront-ils faire autre chose que du théâtre de geste ? Pourront-ils jouer dans des spectacles plus généralistes ?

Jean-Claude Cotillard : - J’en suis persuadé. Depuis que j’en suis le directeur, la particularité de l’ESAD est déjà de former des comédiens à un travail physique et gestuel poussé. Mais en même temps ils sont généralistes. Avec cette promotion, cette proposition sera bien sûr renforcée, et le texte ne sera pas la base du travail. Mais on travaillera aussi la voix, la comédie et je pense que ce seront des acteurs qui seront beaucoup plus équipés, outillés, armés que ceux qui sortent d’une école plus conventionnelle d’art dramatique. Ils auront bien sûr leur particularité. Certains iront vers le cousinage circassien, d’autres vers le cousinage « danse », d’autres encore vers le cousinage « formes animées », et certains iront aussi vers le théâtre, le travail de texte, voir d’écriture. Pour moi, l’objectif n’est pas de faire des spécialistes enfermés dans une forme.

    • Patrice Keller de Schleitheim
      Patrice Keller de Schleitheim

      J'aurai bien aimé rencontrer un lieu de formation tel que celui-cii !

      Il y a 42 ans j'ai rencontré Pinock et Matho et c'était la découverte du Mime pour moi, j'en profite pour les en remercier.

      • Philippe Pillavoine
        Philippe Pillavoine

        C'est vrai que cette future nouvelle classe est un bon point pour l'art du Mime.
        Je trouve cependant dommage ce concept de « digéré ». Pourquoi ne pas assumer pleinement l'héritage des maîtres ? À ce rythme là on va faire une génération « Coca-Cola » ! Il serait bien aussi pour les jeunes comédiens d'apprendre à « digérer » les préceptes de part eux-mêmes. C'est ce que j'ai vécu et ma digestion se passe bien. Je n'aurais pas apprécié la présence d'un intermédiaire.